Laurence Manning

[RubikCon 2020] Entrevue avec la pianiste Laurence Manning

Le 29 février, lors de la troisième édition du RubikCon à Drummondville, j’ai eu le privilège de m’entretenir avec la pianiste Laurence Manning. C’était une journée avant son concert le 1er mars. Je voulais discuter de plusieurs sujets à propos de sa carrière et de la musique de jeux vidéos en général.

Laurence, tu as complété un doctorat en interprétation piano en décembre 2018, diplôme que tu as eu l’été de 2019. Peu de temps avant, tu as lancé ton album « Game Music Piano Album ». Tu as accumulé les concerts bref, tu as accompli beaucoup de choses en un an. Comment as-tu vécu tout cela ?

«C’est sur que ça s’est préparé. Ça fait plusieurs années que ça s’en venait. Parce que s’il y a quelques années on m’aurait dit : tu vas lancer ton premier album de jeux vidéos en sortant de l’école, j’aurais dit ‘Wow ! Est-ce que ça se peut ça ?’ Deux ans avant de finir mon doctorat, c’est là que j’ai commencé à faire de la musique de jeux vidéo. J’ai commencé à faire des arrangements puis un moment donné je me suis mis à en faire plein. J’en ai aussi fait avec mon trio Trifantasy et beaucoup en solo. Je faisais ça en même temps que mon doctorat. Je suis vraiment contente de l’avoir terminé. C’était vraiment tout un concert ! Ça été l’une des épreuves les plus stressantes de ma vie et ça vraiment bien été. Donc je suis vraiment reconnaissante parce que c’était beaucoup de travail ! Quand on est artiste, il faut être capable de faire plusieurs choses en même temps. Il faut être capable d’être entrepreneure, être sur les réseaux, il faut pratiquer… alors tu fais plein de choses. Juste avant de finir mon doctorat, j’ai fait mon premier album complet avec Trifantasy avec mes arrangements. C’était la première fois que je faisais un enregistrement de CD de façon professionnelle. Il y a eu aussi ma toute première campagne Kickstarter. Un moment donné, j’avais tellement d’arrangements solos et je commençais à faire de plus en plus des vidéos de concerts de mes enregistrements piano. J’avais vraiment envie de faire mon premier album solo. Alors, j’ai commencé par terminer mes études et une fois terminé, je n’étais plus certaine si j’allais faire un album. Mais j’y ai repensé durant le temps des fêtes et je me suis dit : il faut que je me lance ! Alors, j’ai vraiment travaillé sur ma stratégie Kickstarter, contacter les médias et tout ce qu’il fallait faire. J’ai fait une vidéo de présentation et je me suis croisé les doigts pour obtenir 3500$ et finalement j’ai eu 10 500$. C’est vraiment l’fun parce que j’ai pu avoir un album de qualité dans le studio que je voulais avoir. Ce n’était pas juste un bon premier album, c’était un excellent premier album au niveau du son et du mastering. Donc, ça a vraiment été le début de quelque chose de spécial. Je me suis rendu compte que ce que je voulais faire ça avait une place en musique. Ça a été un tremplin pour la suite.»

Carrément, tu fais carrière avec ce que tu aimes le plus dans la vie. Est-ce que tu t’imagines faire autre chose ?

«Non ! Ça n’a jamais été le cas. J’ai commencé à faire du piano à l’âge de 3 ans et demi. J’aimais les jeux vidéo, mais ça a toujours été clair que je voulais être pianiste. À l’école, on nous demandait ce qu’on voulait faire plus tard. Moi je disais que je voulais être pianiste. Il y avait des professeurs qui me disaient : «Ce n’est pas un métier être pianiste ! Tu peux être professeure de piano.». Moi je répondais : «Non ! Je veux être pianiste !». Donc, j’ai toujours su que c’était ce que je voulais faire. C’est pour cela que j’ai fait autant d’études, que j’ai passé autant d’années à pratiquer et passer tous les examens. Parce que j’avais la passion de le faire. Le danger avec les études, c’est qu’un moment donné si tu mets à juste penser au travail, à penser à la discipline, ça se peut que tu perdes le plaisir de jouer. Et ça, c’est bien malheureux parce qu’il y a bien des musiciens qui lâchent, même après des maîtrises ou des doctorats en musique. Sauf, le fait d’avoir fait de la musique de jeux vidéo ça m’a redonné le goût de jouer juste pour le plaisir. Je ne joue pas cette musique pour un examen ou parce qu’on m’a imposé la pièce Dark World de Zelda ! *rires* C’est moi qui décide et c’est vraiment plaisant !»

En supposant que tu ne faisais pas ça, que penses-tu que tu ferais ?

«J’ai toujours été intéressée à la psychologie. Il y a aussi l’art dramatique qui m’intéresse beaucoup. Mais j’ai l’impression que je fais déjà un peu ce domaine-là quand j’interprète. Il y a l’aspect théâtral quand je joue. Sans être une actrice, je peux quand même ajouter cette dimension.»

Comme le cosplay de la princesse Zelda dans ta fameuse vidéo ?

«Exactement ! Je trouve que le costume ajoute une étape de plus dans l’interprétation. Non seulement tu joues la pièce du jeu vidéo, mais tu rentres carrément dans la peau du personnage. C’est amusant !»

Les compositeurs de musique de jeux vidéo sont des gens talentueux et certains ont composé des pièces légendaires. Est-ce que tu crois que ces artistes ont suffisamment de reconnaissance dans le milieu de la musique ?

«Je pense qu’il y en a de plus en plus. Au début, la musique de jeux était considérée comme de la sous-musique. Ce n’était même pas un genre de musique. C’est vraiment en train de changer parce qu’il y a des orchestres professionnels qui en jouent. D’ailleurs, ils remplissent les salles avec ça. Les gens aiment cette musique. Ils sont de plus en plus reconnus et il y a aussi beaucoup de femmes compositrices de musique de jeux vidéos et j’aime ça. On valorise vraiment le talent. On a vraiment des grands compositeurs et compositrices de musique de jeux et ce n’est pas près de se terminer.»

Les Grammys ont des prix pour les trames sonores des « médias visuels », ce qui comporte la télé, le cinéma et aussi les jeux vidéo. Pourtant, les trames de jeux vidéo ne gagnent pas. Pourquoi d’après toi ?

«Ça va venir. C’est une question de visibilité. Il faut aussi se questionner à savoir qui sont les juges. S’ils ne jouent pas à des jeux vidéos et qu’ils n’ont pas écouté les trames sonores, ils sont mal placés pour les juger aussi. Je pense que la télévision est plus reconnue que les jeux vidéo parce que c’est plus ancien. J’ai l’impression que la musique classique c’est un milieu qui peut parfois être conservateur. On valorise beaucoup la musique du passé et c’est difficile d’amener de la nouvelle musique et de la considérer aussi bonne que la musique d’autrefois. La musique de films quand c’est arrivé, c’était aussi de la sous-musique. Parce qu’on devait l’associer avec des images. Mais avec le temps, cette musique a fait ses preuves. Aujourd’hui John Williams est reconnu. Mais ç’a été long quand il a commencé, car ce n’était pas du tout le cas. J’ai vu qu’il a un ciné-concert de Lord of the Rings et quand les gens en parlent, ils en parlent en tant que musique classique. C’est la nouvelle musique classique et je suis vraiment contente qu’on dise cela ! Mais quand le film est sorti, ce n’est pas ce qu’on disait ! Donc, les choses changent avec le temps et je suis confiante qu’un jour la musique de jeux va être considérée comme la musique de films.»

Donc pour toi la musique de jeux vidéo ne restera pas un style méconnu du public en général ?

«Je crois que c’est en train de changer. Je le vois, car quand j’étais petite, ce n’était pas comme c’est aujourd’hui. Quand j’étais jeune, je ne me vantais pas de jouer à des jeux vidéo. Je le faisais, mais ce n’était pas considéré cool. Je jouais quand même et j’avais du plaisir quand je jouais avec mon frère. Je me souviens la première fois que j’ai joué de la musique de jeux en concert, personne ne savait c’était quoi. Mais on trouvait ça bon parce que c’était du Zelda. Maintenant, ils font des événements geeks dans les écoles. Par exemple : récemment, j’ai été invitée à l’école secondaire Bernard-Gariépy à Sorel-Tracy pour leur toute première semaine geek. J’avais fait un arrangement de Challengers de League of Legends. Ils ont joué ça et c’était très bon !»

Est-ce que tu te verrais créer de la musique originale pour une compagnie de jeux vidéo ?

«Oui. C’est nouveau, mais j’ai un projet avec Konami. Le processus avec eux est un peu plus long que prévu. Il faut dire que je prévoyais débuter une campagne Kickstarter en janvier ou février de cette année pour faire un album de Castlevania. Au mois d’avril ou mai, la campagne aurait été complétée. Mais je ne savais pas que je recevrais une autorisation officielle de Konami. Sinon, je serais allée chercher des licences non officielles qui m’auraient quand même permis la distribution de mon album. Mais là ça change tout et j’ai envie d’essayer ce processus avec Konami. La veille de Noël, j’ai reçu un courriel de Konami que je n’attendais pas ! Ils voulaient discuter du projet. Donc, là nous sommes dans un processus où c’est normal que cela prenne du temps. Nous devons avoir des autorisations officielles pour le projet.»

Est-ce que créer ton propre album de tes compositions à toi, que ce soit relié aux jeux ou non fait partie de tes objectifs de carrière ?

«Oui. En attendant le projet avec Konami, je me suis mise à composer. Ça faisait longtemps que j’avais des idées de pièces de piano. Depuis le temps des fêtes, je suis vraiment inspirée. J’ai écrit plusieurs pièces et ça se dirige vers un album de compositions. Je travaille sur des compositions de musique de chambre et de piano solo. Elles sont inspirées de la musique de jeux vidéo, de films et du néo-médiéval. Le tout avec une influence classique, bien sûr.»

Y aura-t-il une suite à Game Music Piano Album ?

«Il y a de bonnes chances que oui. J’ai déjà ce qu’il faut, mais évidemment cela prend des fonds. Donc, je vais probablement faire une autre campagne Kickstarter pour cela.»

Alors c’est à suivre, mais sur un autre sujet, est-ce qu’une pièce de musique de jeux peut te toucher ? Si oui, quelle est la dernière pièce que tu as écouté qui t’a fait vivre une émotion ?

«Bonne question ! *rires* Oui, la musique de jeux ça peut venir te chercher. Ça dépend lesquelles, mais par exemple, sur mon album, la pièce qui est venue me chercher de façon intense c’est celle de Castlevania (Lament of Innocence). Souvent, la musique de Castlevania ça vient me chercher dans les tripes. Il y a d’autres musiques qui créent d’autres émotions, mais elles ne sont pas pour autant moins touchantes. C’est autre chose. Je pense par exemple à Song of Healing : c’est une pièce que les gens aiment beaucoup et elle est vraiment bonne. Elle a quelque chose de particulier dans les harmonies. C’est parmi les pièces les plus touchantes que j’interprète. Il y a aussi la pièce de Xenoblade Chronicles 2, Where We Used To Be, que je joue souvent. C’est de la musique qui est à la fois sensible, mais aussi puissante.»

Maintenant, des questions en rafale. Tu dois choisir : Mario ou Sonic ?

«Je suis plus une joueuse de Mario ! J’ai plein de jeux de Mario et je les adore. Pour ce qui est de Sonic, je n’ai pas vraiment fini les jeux. Mais présentement, j’adore Sonic parce que j’ai vu le film. Donc j’aurais dit Sonic, mais j’ai rejoué à Super Mario World récemment donc je dirais plus Mario.»

Dragon Quest ou Final Fantasy ?

«Tu les as les questions ! *rires* C’est un peu comme le choix d’avant. Normalement, je dirais plus Final Fantasy parce que j’adore la musique. Je n’ai pas beaucoup joué aux jeux, mais j’ai vraiment adoré Final Fantasy XV. J’ai aussi joué au quatrième. Je connais surtout la musique de cette série. Mais pour Dragon Quest, j’ai commencé récemment Dragon Quest XI et j’ai vraiment adoré ça.»

Skyrim ou The Witcher ?

«Je n’ai pas vraiment joué à ni un ni l’autre, mais je dirais The Witcher parce que j’ai vu mon copain y jouer. J’adore l’univers fantastique du Witcher et j’ai aussi écouté la série Netflix. Mais je dois dire que la musique de Skyrim est superbe !»

Metroid ou Mega Man ?

«*rires* [un autre choix difficile!]… je dirais plus Mega Man parce que j’ai plus joué à cette série.»

Et pour la dernière, si tu croyais que mes choix étaient difficiles… Zelda ou Castlevania ? Deux séries différentes, mais je sais qu’elles sont tes préférées !

«Je dirais que Zelda c’est ma série depuis que je suis toute petite. C’est le premier jeu que j’ai joué. Castlevania est entré plus tard dans ma vie, mais c’est une série très intense. Surtout quand tu découvres la musique et l’univers de Castlevania. Le premier que j’ai joué était Castlevania IV (Super Nintendo). Je me souviens d’avoir joué, moi et mon frère. Nous étions quand même jeunes pour jouer. C’était un peu un jeu d’horreur ! Pour des enfants, ça peut faire peur. Mais la musique est vraiment bonne et ça m’avait vraiment marqué.»

Merci infiniment à Laurence de m’avoir accordé du temps d’entrevue ! Pour être au courant de ses projets, suivez-la sur Facebook ! Aussi sur YouTube pour ses dernières vidéos.

Son album Game Music Piano Album est toujours disponible à télécharger sur Bandcamp.

Vous pouvez aussi la supporter dans ses projets sur Patreon et visiter son site internet officiel.

À propos de Yannick Faucher

Quand je ne suis pas en train d'écrire, je joue à des jeux vidéo. Si je ne joue pas, je regarde des dessins animés américains ou japonais. Sinon, je lis des bandes dessinées de super-héros. Vous voyez le genre? Il n'y a pas assez d'heures dans une journée pour satisfaire ma soif de geek. C'est ma passion, c'est dans mes veines.

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