Entretien avec Jonny Pac Cantin, concepteur de jeux de société

Ce passe-temps, devenu rapidement une passion, est très propice à rencontrer des gens, se faire des amis de façon inattendue et découvrir les gens autour de soi. Il est encore plus inattendu de rencontrer des concepteurs de jeux mais le hasard fait, d’ordinaire, bien les choses. C’est en effet, suite à quelques échanges sur les jeux de société, dans un groupe Facebook, que j’ai virtuellement rencontré un concepteur dont j’apprécie particulièrement les jeux. Je vous présente, ici, le résultat de cet échange avec Jonny Pac Cantin, concepteur de Coloma (on vous a déjà parlé de ce jeu dans les sorties Kickstarter), Sierra West et A Fistful of Meeples pour ne nommer que ceux-là.

Photo de Johnny Pac Catin avec son prochain jeu Lions of Lydia.
Photo courtoisie de Jonny Pac Cantin

(Geekbecois) En guise d’introduction, j’ai voulu savoir d’où venait son amour pour les jeux de société et quels jeux l’avaient mené vers ce hobby.

(Jonny Pac Cantin) « J’appréciais beaucoup, enfant, les jeux comme Uno, Dominoes, Rummikub ainsi que les jeux abstraits à deux joueurs qu’on trouve dans le Kluts Book of Classic Board Games. Mon préféré était The aMAZEing Labyrinth, publié dans les années 80 chez Ravensburger. Comme il s’agissait d’un jeu de conception allemande, ce fut ma première expérience avec un jeu de type euro. C’était un présage de ce qui allait devenir ma tasse de thé 20 ans plus tard. Adolescent et jeune adulte, je n’avais que peu d’intérêt pour les jeux. Pas de Magic, de jeux de rôle ni de jeux vidéo pour moi, j’étais plus dans les arts, la musique et autres activités créatives. Mon côté « hipster » était plus fort que mon côté geek. Au milieu de la première décennie du siècle actuel, on m’a fait découvrir des jeux, maintenant classiques, comme Carcassonne. J’ai été immédiatement accroché et ma collection a rapidement pris des proportions. Éventuellement, j’ai commencé à faire mes propres concepts de jeux. Aujourd’hui, c’est ce que je fais à temps plein et je ne fais de la musique qu’à temps perdu. »

Mais qui est Jonny Pac Cantin concepteur de jeux de société, une petite bio peut-être ?

« Voici le spiel (jeu) : Je suis un concepteur de jeu de société et également un développeur (ndlr : personne qui aide un autre concepteur à développer un jeu) de jeu avec une formation et une expérience en arts visuels, en musique et en éducation. Je suis fasciné par la psychologie, l’économie comportementale et la gestion de risque. Dans mon travail de concepteur, je travaille essentiellement à créer des jeux de type euro avec de nouveaux systèmes, des mécaniques épurées où les thèmes sont bien intégrés. J’accorde beaucoup d’importance aux concepts centrés sur le côté intuitif de l’humain avec une attention particulière sur l’ergonomie et l’expérience de l’utilisateur. Je veux que le joueur soit capable de jouer « à l’oreille », comme un musicien qui improvise. Les jeux à mon actif sont Coloma, A Fistful of Meeples, Sierra West, Hangtown, Lions of Lydia, Merchants Cove, Drawn to Adventure, Endless Winter et une extension pour Glen More II : Chronicles. »

 

Plusieurs de tes jeux, j’en dénombre quatre, se déroulent dans la période de la découverte de l’Ouest américain. Pourrais-tu nous expliquer ce choix ? Y-a-t-il encore d’autres surprises, sur ce thème, qui nous attendent ?

« J’habite en plein cœur du Gold Country, en Californie, où les pionniers sont venus s’installer, en traversant les montagnes du Sierra Nevada, durant la ruée vers l’or de 1849. Hangtown, Coloma et Apple Hill (comme dans Sierra West) sont des endroits réels de ma région sur lesquels j’ai basé ces jeux. Je trouve que le Wild West est un contexte très plaisant comme thème de jeu où on peut découvrir de nouveaux endroits, des mines, des ressources, créer de nouvelles villes, voler une banque et s’affronter dans un duel. Évidemment, A Fistful of Meeples est basé sur ce contexte mais encore plus sur les films de western spaghetti avec des meeples rigolos au début du spectacle (ndlr : voir, ici, la boîte du jeu). Pour ce qui est du thème, il me reste encore un jeu ou deux dans cette époque. Claim Jumper, un jeu de draft de dés et de contrôle de territoire assez simple ainsi que Donner Summit, un spin-off de Sierra West, avec un système de cartes similaire. C’est effectivement basé sur l’expédition Donner, 87 personnes en route vers la Californie, qui sont restées bloquées dans les montagnes durant l’hiver 1847-48 dont 36 membres ont péri de famine et de maladie. Aucun des jeux n’est encore signé avec un éditeur, mais je serai heureux de les voir publiés éventuellement. »

Est-ce que tu accepterais de régler un débat pour nous ? Qu’est qui arrive en premier… l’œuf ou la poule ? Pardon, pour toi, en premier, le thème ou les mécaniques lors du développement d’un jeu ?

« Ha, ha, oui certainement. Il n’y a pas de bonne réponse pour cette fausse dichotomie, et contournant la question simplement en disant : « Je crée des expériences » sans rien vouloir affirmer (tous les jeux offrent une expérience, bonne ou mauvaise ou peu importe). Opposer le thème et les mécaniques de jeux, c’est comme demander si on fabrique quelque chose de bas en haut ou le contraire, comme en musique opposer les harmonies à la mélodie. Donc je vais dire oui ! Mais lequel alors ? Les deux. J’aime à penser que ma zone créative est une épopée phénoménologique, ce que John Cleese (ndlr : acteur/humoriste des Monty Python) nomme un « impossible intermédiaire ». Une alternance entre le thème et les mécaniques, en zoomant ou en s’éloignant, en désintégrant et réintégrant ; ce sont des procédés qui ne sont pas linéaires et qui ne suivent pas une formule, en tout cas, ils ne le devraient pas. Je veux juste dire, à la fin, que je veux que le thème de mes jeux soit indissociable des mécaniques. Personne ne devrait pouvoir dire que le thème est juste plaqué sur le jeu comme une arrière-pensée. Ce qui m’importe le plus, c’est un produit final pleinement intégré. »

Tu dis, sur ton site web, que tu tentes d’épurer le plus possible tes jeux. Nous expliquerais-tu comment cela se traduit dans le développement d’un jeu ? Quel est l’impact sur le joueur ?

« Pour moi, c’est un processus constant de développement. Épurer n’est pas facile. Mais j’aime beaucoup le faire. Maintenant, je tente de dissoudre les problèmes plutôt que de les résoudre. Ce qui veut dire que je retravaille les structures de base du jeu pour éliminer les problèmes et faire en sorte qu’ils ne se représentent plus. Simplement résoudre des problèmes amène souvent à faire des exceptions aux règles et rendre le jeu juste plus compliqué. Je pense que beaucoup de concepteurs de jeux tentent de trop s’attarder aux lacunes, aux cas rares et d’ajouter des couches de complexité. Ce qui explique la pléthore d’asymétrie et d’habileté de contournement de règles qui dominent la scène du jeu présentement. Je pense que cela démontre une tentative de se mettre en valeur, comme un musicien qui tente d’épater par ses prouesses. Au contraire, épurer est souvent invisible dans un jeu, c’est un acte d’omission. C’est humble, c’est plus profond qu’épatant. C’est plus proche du concept taoïste wu-wei, la non-action. Voici un extrait du guide pour les idiots sur le taoïsme : Wu-wei veut dire répondre complètement, authentiquement et spontanément aux circonstances qui émergent dans notre environnement. Et ce, sans employer ce que certains enseignements Zen appellent « grasping idea » ou « monkey mind » (ndlr : comprendre ici : qui n’est pas au repos). »

À te voir interagir avec les internautes sur les réseaux sociaux, on comprend rapidement ton amour pour les jeux de type euro. Quels sont tes préférés ?

« J’en ai tellement. Je serais un mauvais critique. Je suis, ma foi, incapable d’en faire un top 10 de tous les temps. Ceci étant dit, je peux tout de même mentionner certains titres qui me semblent représentatif des jeux de société modernes : Carcassonne, Stone Age, El Grande, Tikal, Colosseum, Porta Nigra, San Marco, Caylus, Puerto Rico, Istanbul, Village, Castles of Burgundy, Trajan, Terra Mystica, Tzolk’in, First Class, Race for the Galaxy, Imhotep, 7 Wonders, Dominion, Kingdom Builder, Clans, Valletta, Yspahan, Livingstone, Santa Maria, Pulsar 2849, Glen More II… »

Est-ce qu’il y a un type de mécanique de jeu sur laquelle tu aimerais travailler ? Comme un but à atteindre ?

« Chut… Mais mon rêve est de créer un jeu de type euro où il n’y a pas de livret de règles et sans aucun texte ! Je le voudrais complètement basé sur sa capacité à être découvert, son harmonie et sa signifiance, dans le style des designs de Don Norman. Avec en plus les suppositions et les connaissances de base que les joueurs plus « gamer » ont déjà intégrées. J’aimerais voir les gens trouver par eux-mêmes comment jouer, comment résoudre les ambiguïtés en créant des règles maison et des façons de jouer. Ils pourraient choisir dans quel sens interpréter une règle s’il y a plus d’une façon de la jouer pour eux. Malgré tout ça, le jeu tiendrait la route ! Il serait assez robuste pour résister à différentes interprétations raisonnables… »

Étant très actif en tant que concepteur de jeux, on les voit passer en revue par des critiques comme Tom Vassel de Dice Tower qui disait que Coloma était le meilleur jeu de la compagnie Final Frontier Games. Radho est également un fan. Est-ce que ces reconnaissances aident pour la publication de futurs jeux ?

« Oui et non. J’ai plusieurs projets en cours sur lesquels je travaille présentement, alors j’ai moins de temps pour pousser mes designs auprès des éditeurs. Je fais aussi beaucoup de développement pour d’autres concepteurs de jeux, ce qui occupe la majorité de mes heures de travail. Par-dessus tout ça, il est plus difficile de réseauter sans les conventions physiques (ndlr : Gencon, Essen, etc.) cette année. J’aimerais bien trouver des éditeurs pour Claim Jumper, Donner Summit et un jeu à thématique gangster/placement d’ouvriers nommé Atlantic City : Park Place. Ils attendront probablement un peu plus longtemps. On verra ce que nous réserve 2021-2022 ! »

Tu prends le temps de nommer et remercier plusieurs concepteurs de jeux sur ton site web. Peux-tu nous parler de concepteurs qui ont eu une influence sur ton travail et comment ?

« J’en admire tellement, le choix est difficile, mais allons-y avec ceux-là : Je me demande souvent : « What Would Phil Walker-Harding Do ? » Que ferait Phil Walker-Harding ? C’est comme un mantra (WWPWHD). Sans le connaître personnellement, j’admire beaucoup son travail. Il est un maître de l’élégance, capable de distiller les mécanismes les plus compliqués pour n’en laisser que leur forme la plus pure. Je suis aussi un grand fan de K&K (Kramer & Kiesling). Leur travail, ensemble et séparément est en soi un catalogue impressionnant. Ils ont été très innovants et ont un don pour l’élégance. J’ai plus de 60 jeux d’eux dans ma collection. »

Un grand merci Jonny Pac Cantin, concepteur de jeux de société, pour avoir pris le temps de nous parler de ton travail.

« Merci de l’invitation ! J’ai bien hâte à la sortie de Lions of Lydia et Merchants Cove cet automne pour vous les présenter. Il y aura également d‘autres annonces de projets excitants à venir ! Restez à l’écoute et n’hésitez pas à me contacter sur BGG ou Twitter !
Happy gaming,
Jonny Pac, July 2020. »

C’est comme ça que ce termine cet extraordinaire entretien avec un concepteur de jeux que je vous invite à découvrir. Mes prochains articles parleront de trois de ses jeux, Sierra West, Coloma et A Fistful of Meeples.

À bientôt !

À propos de Martin Lauzon

Amateur de jeux de société, de comic books américains, de BD québécoises et européennes, YouTuber amateur, artiste visuel et musicien. J'ai trop de passe-temps alors j'ai décidé d'ajouter Geekbecois à la liste.

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