Behaviour Interactive au NYCC 2019 : entrevue avec Mathieu Côté

Pendant mon séjour au Comic Con de New York au début octobre, j’ai eu la chance de rencontrer des membres de l’équipe de Behaviour Interactive, la compagnie derrière le jeu Dead by Daylight. Voici une entrevue avec Mathieu Côté, directeur de jeu et le porte-parole de l’entreprise.

On casse la glace !

(Geekbecois) Comment se passe le Comic Con de New York de votre côté ?

(Mathieu Côté) On prend beaucoup plus de photos du décor qu’on pensait. Il y a énormément de gens qui veulent prendre juste des photos. Sinon, c’est un succès. On voit des vieux amis, il y a des gens qu’on voit à toutes les conventions, ce sont des «fans» de Dead by Daylight, ils nous suivent partout. En plus, il y a plein de cosplayers, ça me fait toujours chaud au coeur de voir des gens qui arrivent avec cette passion-là. Ça se passe très bien !

Le Comic Con de New York permet à des curieux de tester Dead by Daylight

Vous faites combien de conventions par année ?

Des grosses conventions comme le Comic Con de New York, on en fait deux ou trois, comme PAX East par exemple. En plus, Marie-Claude (la responsable des événements) et moi voyageons pour faire des tournées de presses. On est allés en Allemagne, au Japon, au Gamescom dernièrement. Et comme on a du nouveau contenu environ à tous les trois mois, on part très souvent en voyage, on court ! Par chance, Behaviour a une excellente politique de conciliation travail-famille.

Justement, parlez-moi davantage de la compagnie.

C’est vrai que Behaviour a une énorme fierté à s’assurer que les gens sont heureux de rentrer le matin. C’est important pour nous. Je dirais aussi que c’est une des raisons pour lesquelles le jeu Dead by Daylight est un succès en ce moment et que l’on a été capable de maintenir cette cadence-là, de sortir du contenu constamment. L’équipe de programmation n’a presque pas fait de «crunch time«, ni de temps supplémentaire. Alors quand l’employé est au travail, il met le focus sur son travail. Quand arrive cinq ou six heures, c’est le temps de quitter pour la maison.

C’est très sain comme endroit et ça nous permet d’avoir un équipe qui travaille quatre ans sur un même projet sans être brûlée.

Racontez-moi un peu l’histoire de Behaviour Interactive.

On a commencé ça fait à peu près 27 ans maintenant et la majorité du travail qui a été fait par Behaviour était du travail à la pige. On faisait des jeux pour des éditeurs, des développeurs qui avaient besoin d’aide ou des franchiseurs comme Disney qui sortait un nouveau film et qui voulaient un jeu en même temps. Donc on a fait ça pendant 25 ans.

Les efforts de nos propres propriétés intellectuelles sont récents, remontent aux cinq dernières années. On a tenté de créer nos propres histoires dans le passé avec un succès modéré jusqu’à ce qu’on fasse Dead by Daylight, qui est sorti en juin 2016 et ça a explosé. Ça a aussi beaucoup changé la manière dont on fait les choses dans la compagnie. On a maintenant un département où on met des efforts sur nos propres créations. Par contre, on garde toujours le travail à la pige, on en fait de plus en plus. C’est ce qui va toujours rester la force et la stabilité de la compagnie. Mais d’un autre côté, on fait de la prospection pour notre futur, on invente de nouvelles choses et on prend des risques.

L’équipe a grossi beaucoup depuis quelques années. On ajoute des départements par exemple. Aussi, on n’avait pas quelqu’un qui était dédié aux événements avant. Aujourd’hui, c’est le cas. C’est la raison pour laquelle on est ici (au Comic Con de New York), avec un beau kiosque. Il y a deux ans, la dernière fois que l’on était au NYCC, on avait une petite bannière et une table pliante. Ça a beaucoup changé.

Logo Behaviour
Logo de Behaviour Interactive

Quel genre de spécialisation vous avez face à d’autres compagnies de développement de jeux vidéo ? Pour quelle raison une compagnie comme Disney, par exemple, irait vous chercher pour développer un jeu ?

En 25 ans, on a établi très fortement une réputation auprès de ces gens-là. Les joueurs ne connaissaient pas Behaviour jusqu’à Dead By Daylight. Mais les développeurs, les franchiseurs et les éditeurs connaissent très bien Behaviour comme une compagnie qui peut faire un jeu sur n’importe quelle plateforme, des jeux de qualité dans le temps demandé. On a aussi fait des jeux en les transposant de plateforme. C’est de là que vient notre réputation chez EA, Ubisoft, Microsoft, Disney, etc.

Vous êtes une compagnie indépendante, mais une grosse compagnie.

On est indépendant parce qu’on est une société privée. Une compagnie qui n’a pas de compte à rendre, mis à part entre nous. La compagnie appartient à un québécois. On a eu des investissements étrangers mais il reste que le président, Rémi Racine, a son bureau dans l’immeuble et c’est lui qui décide. Ça reste une compagnie québécoise. Au Québec, on a beaucoup la vision du studio indépendant qui comporte une toute petite équipe mais être indépendant, c’est qui a l’actionnariat à la fin de la journée.

Être indépendant ça veut aussi dire que les projets nous appartiennent. Par exemple, on est allé racheter tous les droits de Dead by Daylight et maintenant, on va où on veut avec ça. C’est terrifiant, mais aussi extrêmement satisfaisant.

L’affiche de Dead by Daylight

Quel est le but principal de Dead by Daylight ?

C’est de jouer à la cachette dans l’univers des films d’horreur des années 70 et 80. C’est le thème principal du jeu.

Pourquoi horreur 70 et 80 ?

La plupart des gens qui étaient sur l’équipe au départ étaient du même âge que moi et on a grandi avec ces films-là, et il y a quelque chose qu’on aimait beaucoup dans ces films. Quand on regarde par exemple, le premier film Halloween de 1978, le film est entièrement construit autour de l’anticipation. Il n’y a pas beaucoup d’action, il y a peu de violence graphique qui y est présentée. C’est l’anticipation, le stress, la tension qui monte, et c’est ce qu’on avait envie de reproduire.

Dans le jeu, il n’y a pas tant de violence graphique, il n’y pas tant de combat que ça. L’essence de Dead by Daylight c’est plus «est-ce qu’il va me voir ?», «est-ce que je vais réussir à me cacher ?», «il m’a vu, est-ce que je vais pouvoir me sauver ?», «est-ce que quelqu’un va venir m’aider ?». C’est très inspiré de ces films-là. C’est comme une lettre d’amour à ces films qui nous ont inspirés beaucoup, ces archétypes de l’horreur, et en même temps, on a pris ça et on a créé notre propre fiction autour de ça.

Avec le temps, ça fait maintenant trois ans et demi que le jeu est en ligne, on a ajouter beaucoup de nos propres chapitres, de nos propres personnages, mais on a aussi ajouté des licences. On a ajouté Halloween, Micheal Myers et Laurie Strode, on est allé chercher Freddy Kruger, le cochon dans Décadence, «Leatherface», «Ghostface» et là on vient d’ajouter Stranger Things. On a aussi Ash de Evil Dead.

J’ai lu que le Demogorgon de Stranger Things a été plus difficile à créer. Est-ce que c’est vrai ?

C’est pas que c’était plus difficile, mais c’était nouveau. C’était la première fois qu’on faisait un monstre. Tous les autres personnages du jeu sont humains. C’était un défi au niveau des animations, il fallait recommencer beaucoup de choses. Mais en même temps, c’était une opportunité de faire des choses qu’on n’avait pas faites avant et de montrer qu’on peut faire autre chose d’intéressant. Alors ce n’était pas autant un défi qu’une opportunité de faire quelque chose de nouveau.

Et depuis que le dernier contenu est sorti, qu’est-ce que les gens en pensent ?

C’est drôle parce que, habituellement, quand on sort un nouveau chapitre, du nouveau contenu, on a un peu des deux extrêmes. On va sur des forums pour voir et certaines personnes vont dire que le tueur ne sert à rien tandis que d’autres vont dire qu’il est trop fort. Celui-là, étrangement, c’est presque uniformément positif. Les gens ont embarqué à 100 milles à l’heure, ils aiment ce qu’on a fait avec ça. Le nouveau tueur est «super le fun». Alors, on a réussi à faire une bonne job.

Les futurs développements de Dead by Daylight

J’ai aussi vu que vous aviez la version mobile.

Oui, en effet, c’est la première fois qu’on la met dans les mains des gens. C’est en bêta présentement, c’est disponible dans certaines régions du monde. On ajoute des régions avec le temps. On prévoit que ça sorte au début de l’an prochain. Mais en bout de ligne, on va le sortir quand il va être prêt.

Des participants du NYCC 2019 testant la version mobile de Dead by Daylight

À quand la version en réalité virtuelle ?

On a déjà discuté de faire un tueur en réalité virtuelle et qui serait seulement disponible à travers du PSVR ou le Vive. L’idée était que la personne jouait le tueur contre la population, mais seulement ce personnage-là en réalité virtuelle, avec des mécaniques de jeu spécifiques. Mais il n’y a pas présentement assez de consoles sur le marché pour justifier l’investissement que ça demande.

Il y a l’impact sur la production aussi. On ne peut pas juste le sortir. On doit le maintenir, il doit rester aussi performant que les autres. C’est un investissement qu’on a décidé de ne pas faire à ce point-ci. Ça ne veut pas dire que c’est hors de question. Je suis un gros fan personnellement de la réalité virtuelle, j’ai le Vive à la maison, j’adore ça.

Pour les futurs programmeurs

Des testeurs pour la nouvelle mise à jour de Dead by Daylight

Qu’auriez-vous à dire aux personnes qui veulent se diriger vers ce domaine-là ?

C’est très intéressant, parce que Rémi, notre président, vient justement de publier un article sur le sujet. C’est une lettre qui s’adresse davantage aux parents des enfants qui ont aujourd’hui envie de faire une carrière dans le jeu vidéo. C’est drôle parce que moi, quand j’ai fait mes études pour aller dans le jeu vidéo, il y a quasiment 20 ans de ça, je ne savais même pas que c’était possible comme carrière, ça m’avait pris de court.

Aujourd’hui, on a presque toujours 100 postes d’ouverts chez Behaviour, on cherche du monde, on embauche à travers le monde. Un jeune qui a envie d’aller à l’école pour aller faire ça aujourd’hui, c’est possible. Il y a de bonnes écoles à Montréal, il y a plein de possibilités de stage, il y a tellement de bonne compagnies de jeux vidéo qui sont en bonne santé financière, il y a beaucoup de possibilités d’emploi à Montréal. Ailleurs aussi, mais Montréal spécifiquement, c’est une plaque tournante.

Et pour les gens qui ne voudraient pas aller à Montréal ?

Il y a un peu de possibilités à Québec, Ubisoft a ouvert un centre à Saguenay il y a peut-être deux ans. Par contre, c’est un peu comme tout le reste. Les grandes industries se trouvent autour des grands centres, et c’est la même chose dans le jeu vidéo.

Il y a aussi un peu de télé-travail qui se fait. Aussi, pour des petits indépendants, tu peux travailler à Rimouski, il y a des studios qui sont à Trois-Rivières, une dizaine de personnes qui travaillent de là. C’est très possible aujourd’hui de publier soi-même un jeu, surtout avec le contenu qui est principalement digital. On n’a plus besoin d’avoir de contacts dans les grands magasins comme Walmart, par exemple. Il est donc possible de faire un jeu soi-même de n’importe où.

D’un oeil plus technique

Sébastien Duval, programmeur senior chez Behaviour Interactive, a également répondu à quelques questions du point de vue technique. Dead by Daylight a été programmé avec Unreal, un moteur de développement de jeux offert par Epic Games. Ils ont utilisé l’outil des «Blueprints» dans les débuts du jeu, mais ils se sont rendu compte que ça ralentissait le jeu. Ils en utilisent moins aujourd’hui. Unreal est basé sur du C++, un langage de programmation qui a été créé dans les années 80 mais encore très à jour où la performance est importante.

Par contre, puisque Unreal est développé par une compagnie de jeux, le moteur peut être biaisé selon les besoins de l’entreprise. Pour les autres compagnies qui veulent utiliser le moteur de développement, certains éléments peuvent être moins pratiques.

Le moteur de développement Unity était aussi une bonne solution, il est beaucoup utilisé pour d’autres jeux. Sébastien affirmait qu’il est souvent question de changer de moteur pour des projets uniques, puisque cela demande de reprogrammer un jeu au complet. Unity est basé en C#, un langage de programmation orienté objet, qui est utilisé entre autres dans la construction du jeu Beat Saber.

Sébastien Duval, qui prépare le jeu pour de nouveaux joueurs

En bref

Pour ceux qui ne connaissaient pas Behaviour, j’espère que vous en savez davantage sur cette entreprise indépendante québécoise. Merci encore à Mathieu Côté et l’équipe présente au Comic Con de New York d’avoir pris de leur temps pour répondre à ces quelques questions. Dead by Daylight sortira bientôt un nouveau contenu téléchargeable, restez à l’affût ! En attendant, profitez du Demogorgon, de Nancy et Steve !

À propos de Annick Senecal

Formée en journalisme et en électronique, je suis contente de pouvoir joindre mes deux passions avec Geekbecois. Parmi la longue liste de choses qui m'intéresse, on y retrouve le cinéma et la télé, les gadgets et la technologie, l'horreur et les perles à fusionner. Pour tout le reste, soyez à l'affût!

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