Dans le cadre du festival Montréal joue, j’ai assisté à la deuxième édition de la Journée professionnelle sur le jeu. Elle a eu lieu le 24 février 2020 dans l’auditorium de la Grande Bibliothèque de Montréal. Après avoir réfléchi sur la place du jeu dans l’éducation en 2019 (partie 1, partie 2), nous nous sommes penchés sur la place de l’immersion dans un jeu réussi.
Avec Maxime D.-Pomerleau (comédienne, animatrice et super héroïne) à la barre, une douzaine de conférenciers ont partagé leur vision. Image, sentiment d’abandon, narration, projection et interaction ont été discutés. Certains ont capté mon attention plus que d’autres.
Bien que la journée traitait principalement des jeux vidéo et un peu des jeux de rôle, j’ai eu envie de faire une transposition libre vers l’univers des jeux de société en une série de quatre articles mettant en vedette les travaux des conférenciers :
- Immersion et paradoxes (conférence d’ouverture de Carl Therrien)
- Immersion et émotion (Jonathan Bonneau, Jean-Charles Ray, Laureline Chiapello et Frédéric Barbusci)
- Immersion et narration (Olivier Hamel, Jean-Christophe Pelletier et Mathilde Savoie)
- Au-delà de l’immersion (Thomas Gaudy, Postel Ludmila, Laurence Grondin-Robillard et Antoine Jobin)
Jusqu’à quel niveau avons-nous besoin de se sentir immergés pour s’amuser dans un jeu ?
Tel qu’évoqué par Chloé Baril, directrice de l’Accueil et du prêt à la Grande Bibliothèque, un jeu raconte une histoire. Un jeu raconte notre histoire et sa capacité immersive le rend séduisant.
Immersion et paradoxes
Carl Therrien, conférence d’ouverture
- Professeur agrégé au département d’Histoire de l’art et d’études cinématographiques à l’Université de Montréal
- Thèse de doctorat (2011) : Illusion, idéalisation, gratification : l’immersion dans les univers de fiction à l’ère du jeu vidéo
- Chercheur au LUDOV (Laboratoire Universitaire de Documentation et d’Observation Vidéoludique)
- Auteur des livres Narrativity : How Visual Arts, Cinema and Literature Are Telling the World Today (mai 2007) et The Media Snatcher : PC/CORE/TURBO/ENGINE/GRAFX/16/CDROM2/SUPER/DUO/ARCADE/RX (octobre 2019)
- ProfilLudique, page Facebook
En guise d’ouverture de la Journée professionnelle sur le jeu, la conférence de Carl Therrien mettait en lumière les paradoxes de l’expérience ludique. Être immergé nous rend vulnérable, alors pourquoi la cherchons-nous ? Avec toutes les nouvelles technologies de modélisation 3D, pourquoi sommes-nous si captivés par des jeux vidéo pixelisés ?
Illusion et expérience optimale : les deux catégories d’immersion
L’illusion
L’illusion crée un pont et nous fait sortir du cadre. Les jeux vidéo en fournissent de plus en plus réalistes avec les captures de mouvements effectuées par des comédiens. Malgré cela, il y a un tout un engouement pour Minecraft !
Afin de mieux fonctionner, les illusions ont besoin d’un cadre, ce que la réalité virtuelle n’a pas encore bien défini.
L’expérience optimale
Selon le psychologue de positivisme hongrois Mihály Csíkszentmihályi, l’expérience optimale se situe dans une zone d’état mental en plein équilibre entre le niveau d’anxiété et l’ennui. C’est la théorie du « Flow ».
Ainsi, certains rappels et ajustements de difficulté ont été programmés dans les jeux vidéo pour éviter que le joueur soit trop envahi dans ses émotions anxieuses pour avoir du plaisir. Par exemple, il y a des alertes pour les baisses de niveaux d’énergie, des rappels sur le temps restant et des tutoriels. Également, le nombre d’ennemis peut être diminué en fonction de la performance.
Les jeux d’ennui contemplatif tels que Gone Home et Walking Sim plaisent à un certain public qui ne cherche pas à relever des défis en jouant.
Mon interprétation personnelle
Illusion
Le paradoxe de l’illusion est également présent dans l’univers des jeux de société. Certains offrent une immersion totale avec un magnifique travail artistique et d’autres plaisent tout autant avec des illustrations minimalistes.
Expérience optimale
Étant atteinte d’un trouble d’anxiété généralisé et d’un déficit d’attention, je me suis particulièrement sentie interpellée. Certains jeux sont trop anxiogènes pour moi et me terrifient. Prenons exemple de certains jeux d’ambiance. Dans Miss Poutine, les gens se crient les commandes. Je me sens rapidement envahie. Je refuse catégoriquement d’y jouer. Si une table voisine joue au Saumon Frétillant, je dois rapidement m’isoler. Sinon, c’est migraine assurée. Je me souviens d’avoir eu une attaque de panique en jouant au Donjon De Naheulbeuk. Bien trop de stimulus pour moi !
Évolution dans le temps
En travaillant fort à contrôler mon anxiété, j’ai appris à apprivoiser des jeux qui, auparavant, auraient fait monter en flèche mon niveau de stress. Par exemple, Stay Cool teste nos habiletés à faire du multitâches. De façon simultanée, le joueur actif doit répondre à des questions en écrivant le mot avec des dés et à d’autres oralement. Quand je l’ai vu la première fois aux Jeux au Boute de 2019, je ne voulais absolument rien savoir.
Également, Flash 8 est un jeu de casse-tête à toute vitesse dans lequel nous devons reproduire des images en glissant des pièces.
Au fil des années, j’ai délaissé certains jeux de société parce que j’avais l’impression d’avoir fait le tour. Par manque de défi, ils ont commencé à m’ennuyer.
Ma zone de flow
Mes jeux préférés équilibrent pour moi un bon niveau de défi sans avoir l’impression de n’y rien comprendre et du graphisme attrayant. Pensons aux Architectes du Royaume de l’ouest, Wingspan, Imaginarium, 7 Wonders, Ishtar-Les jardins de Babylone et Scythe.
En plein milieu de ma zone de confort, quand je n’ai pas trop envie de me casser la tête, il y a Carcassonne, la série Azul, Reef, Kingdomino.
Si, au contraire, j’ai envie de me creuser les méninges, je sors certains titres pour les plus expérimentés : ROOT (mon dernier coup de coeur), Terraforming Mars et Barrage. Par contre, je suis incapable d’y jouer dans un environnement bruyant ou si les autres joueurs me disent quoi faire.
Pourquoi je préfère les jeux de société aux jeux vidéo
Je préfère de loin les jeux de société aux jeux vidéo pour plusieurs raisons. Premièrement, comprendre la manette pendant que le tutoriel fonctionne et des gérants d’estrades me disant quoi faire font totalement disparaître mon plaisir. Je tremble, j’ai des sueurs et je me sens agressive.
La console Wii a été la plus adaptée pour moi. Tourner la manette et tenir le bouton d’accélération pour faire la course dans Mario Kart, faire des mouvements de boxe ou de raquette de tennis me procurent plus de plaisir que de comprendre les combinaisons pour une meilleure attaque. Bien que les consoles beaucoup plus récentes comme la PS4 offrent d’impressionnants graphismes, je ne me sens pas du tout attirée par celles-ci.
La suite de la journée
Nous vous invitons à lire nos autres articles d’interprétation de la 2e édition de la Journée professionnelle sur le jeu du festival Montréal joue.