L’année est 1836. D’ici quelques mois, le roi du Royaume-Uni William IV passera l’arme à gauche et cèdera le trône à sa nièce Victoria, alors âgée de 18 ans. Elle règnera sur l’Empire sur lequel le Soleil ne se couche jamais pendant presque 64 ans, jusqu’en 1901, un record qui ne sera dépassé qu’un siècle plus tard par son arrière-arrière-petite-fille, la reine Élisabeth II. C’est durant cette période, adéquatement nommée victorienne, de l’histoire de l’Angleterre et à la veille de la révolution industrielle que s’inscrit Victoria 3, troisième opus dans cette franchise de jeux de stratégie du studio suédois Paradox. Un grand jeu à forte connotation de simulateur économique et politique qui saura plaire aux amateurs de la série et aux nouveaux venus qui n’ont pas froid aux yeux.
- Studio de développement : Paradox Development Studio
- Éditeur : Paradox Interactive
- Plateforme disponible : PC, MacOs, Linux
- Plateforme de test : PC
- Date de sortie : 25 octobre 2022
- Classement : T
- Prix : 55,99$ sur Steam
- Page Steam du jeu
La série Victoria est sans doute le parent pauvre des franchises à succès du studio Paradox, reconnu pour ses jeux de stratégie historique particulièrement détaillés. Si Europa Universalis est la franchise qui a ouvert le bal, Paradox est bien connu pour Crusader Kings, Hearts of Iron et, plus récemment, Stellaris. Ceci dit, plus de dix après le deuxième opus, les amateurs – dont moi – étions nombreux à réclamer une nouvelle édition.
Et si les refontes de Paradox, par exemple dans le cas de Hearts of Iron 4, ne sont pas toujours réussies, disons que cette fois-ci, le studio vise dans le mille. Voyons-en les détails.
Votre place au Soleil
Dès le départ, vous pourrez choisir parmi les scénarios proposés, au nombre de 16, qui vous placeront à la tête d’un pays d’intérêt durant la période décrite ci-dessus et selon certains paramètres, par exemple la croissance économique ou la conquête militaire. C’est aussi à cet endroit que se trouve les scénarios de tutoriel que je dois admettre avoir trouvé très fastidieux à compléter sans pour autant avoir eu l’impression de bien comprendre les mécaniques.
Bien sûr, en ayant joué aux opus précédents, j’avais une bonne idée des concepts qui seraient abordés, mais l’enjeu avec les jeux de Paradox, c’est qu’ils sont… très complexes. La refonte apportée par ce nouveau titre de la franchise permet une nette amélioration de l’interface et des aspects visuels, mais ne vous y trompez pas, vous aurez d’abord et avant tout à naviguer à travers une pléthore de tableaux pour comprendre les dynamiques à l’œuvre et les influencer.
S’il est possible d’avoir une bonne idée du fonctionnement du jeu en quelques heures d’essais-erreurs et en consultant d’excellentes vidéos de tutoriels de la communauté sur les médias sociaux, il faut souligner que ce titre s’adresse d’abord aux joueurs qui auront le coeur de persévérer pour finalement comprendre et apprécier les dynamiques à l’oeuvre.
Ce passage obligatoire en matière d’avertissements étant fait, retournons à la sélection de la nation à piloter. Si les 16 scénarios peuvent être intéressants pour avoir des objectifs à suivre et une certaine trajectoire privilégiée, absolument rien de vous n’empêche de plutôt choisir parmi n’importe lesquels de la centaine de pays existants à cette époque pour amorcer votre partie.
Les défis seront différents, certes, si vous optez pour une puissance mineure loin de la révolution industrielle, mais, au final, dans Victoria 3, vous vous fixez vous-même les objectifs que vous souhaitez. Si, par exemple, vous deviez choisir le Bas-Canada en 1836 comme nation à incarner, il va sans dire qu’une conquête mondiale serait difficilement atteignable. Mais l’idée de confédérer le Canada et obtenir son indépendance de la Grande-Bretagne pourrait être un objectif tout à fait pertinent à tenter d’atteindre.
La petite fille qui vendait des allumettes
Victoria 3 se concentre autour de trois concepts majeurs : l’économie de marché/industrialisation, le cadre législatif et les courants idéologiques. Si les aspects diplomatiques ou militaires sont présents, ils sont secondaires et surtout tributaires des trois concepts précédents. Même chose pour les aspects davantage « jeu de rôle » de la gestion d’une dynastie, dans le style de Crusader Kings III, qui sont relégués au second plan. Les actions du joueur seront principalement concentrées sur ces concepts directement en lien avec l’économie et la politique.
Tout cela s’appuie sur une force incontournable et simulée en temps réel dans le jeu : les activités de votre population. Les gens qui composent votre nation achètent des biens et des services, occupent des emplois et ont des opinions politiques. Beaucoup de tout cela est dicté par la classe sociale à laquelle ils appartiennent.
En tant que dirigeant, vous pourrez influencer leurs revenus en créant de bons emplois ou en changeant les niveaux de taxation. Vous pourrez les doter d’un niveau plus ou moins grand de liberté, de services sociaux et de démocratie en changeant les lois du pays. Finalement, l’adhésion à certains groupes, par exemple les capitalistes ou les syndicats, pourra être modulée par l’ensemble des leviers à la disposition du joueur. Ainsi, s’il n’est pas possible dans Victoria 3 de simplement « ordonner » à un groupe de la population d’acheter ceci, faire cela ou penser ainsi, le joueur aura en main les outils pour guider ses gens dans la direction de son choix, plus ou moins rapidement. À chaque action, sa réaction. Par exemple, si vous imposez une taxe sur le grain, votre État se retrouvera soudainement avec des coffres bien garnis de revenus, mais cela rendra la nourriture moins accessible, particulièrement pour les plus démunis de votre nation, qui en souffriront. Mais non seulement cela. Puisque l’alimentation est nécessaire à la survie, la population qui paye plus cher sa nourriture aura moins d’argent pour l’achat de meubles, par exemple, ce qui aura un impact sur le marché domestique des meubles également.
Et si jamais les conditions de vie deviennent trop difficiles, les membres de la population pourraient émigrer ou devenir de dangereux radicaux révolutionnaires. Et cela s’applique à toutes les classes sociales qui voient leurs visées politiques – ou leur survie – contrariées. Dans Victoria 3, il n’y a pas que les ventres vides qui se rebellent, bien que cela demeure un argument important…
L’avis de David : J’étais bien excité d’avoir obtenu une copie de Victoria 3 afin de pouvoir l’essayer. Étant un amateur des séries de Paradox et en particulier de Crusader Kings III, je me disais que cette itération allait sans doute être simple à déchiffrer pour moi. J’avais tout faux. Victoria 3 est plutôt complexe pour un nouveau joueur, et le tutoriel n’explique pas grand-chose des concepts. J’ai rapidement fermé le jeu lorsque j’ai compris que j’aurais à mettre énormément d’heures à tenter de percer celui-ci. Mon conseil serait de vous trouver un compagnon qui pourra vous guider pendant une partie, comme Yanick l’a fait pour moi avec Crusader Kings à l’époque. Je crois qu’il serait plus sage de regarder plusieurs personnes y jouer jusqu’à la vente d’hiver Steam.
Vous êtes la main invisible du marché
Vous vous retrouvez donc à devoir conjuguer tous ces facteurs afin de chercher à atteindre les objectifs que vous vous êtes fixés (ou déterminés par un scénario, selon votre préférence au départ). Le principal outil dont vous disposez pour intervenir économiquement est la capacité de votre État à construire des usines et des infrastructures pour propulser l’industrialisation de votre nation.
Un coup d’oeil dans le marché vous donnera une idée des biens et services les plus en demande ainsi que des clients pour ces biens. Par exemple, les vêtements sont un produit de base pour l’ensemble de la population. Si vous souhaitez améliorer la condition de vie des gens et leur permettre de faire des achats dans d’autres catégories, vous pourriez construire des usines textiles. Cela embauchera des chômeurs qui auront ainsi un revenu décent et contribuera à faire baisser le prix des vêtements, puisqu’il y en a davantage sur le marché – la loi de l’offre et la demande à l’œuvre.
Par contre, cela aura pour effet de faire augmenter le prix du coton ! Comme nous le disions, chaque action obtient une réaction. Vous constatez alors que les usines textiles ne roulent pas étant donné que la matière première est trop chère. Si vous êtes dans un pays auquel le climat s’y prête, vous pouvez investir dans des plantations de coton pour produire la ressource convoitée ou encore établir des accords commerciaux avec d’autres nations afin d’importer la matière première.
Vous le constatez, les actions du joueur influencent le cours du marché, ce qui aura pour effet de faire monter ou baisser les coûts de certains produits et, ainsi, influencer la productivité de la population ou des bâtiments. En utilisant ces leviers, il est possible de doter son pays d’un avantage compétitif dans, par exemple, l’accès aux armes et aux munitions bon marché ou encore assurer à sa population des biens accessibles qui lui permettront d’investir davantage dans l’économie, faisant ainsi tourner la grande roue du capitalisme.
Ceci n’est pas du corporatisme
Les investissements dans l’économie seront la principale fonction du joueur, mais ceux-ci auront un impact plus large que simplement l’accès à des ressources ou le pouvoir d’achat. En influençant l’économie, le joueur se retrouve à favoriser certains groupes d’intérêt, par exemple les capitalistes ou les syndicalistes, et ainsi leur donner davantage de rayonnement dans la société.
Parce que voilà le deuxième concept que le joueur devra maîtriser dans la Victoria 3 : l’agenda législatif. Tout au long de la partie, que la nation dirigée soit totalitaire ou démocratique, il faudra ajuster les groupes au pouvoir et ainsi influencer le destin de la nation.
Par exemple, les propriétaires terriens, très nombreux au début de la partie et associés à l’ancienne noblesse et aux propriétaires de plantations, seront généralement conservateurs et axés sur l’économie agricole, ce qui constitue un frein évident aux efforts d’industrialisation. Si vous souhaitez accélérer la modernisation de la nation, il sera souvent nécessaire d’évincer du pouvoir ces petits aristocrates pour les remplacer par un groupe plus en phase avec vos aspirations, par exemple les industrialistes.
Avec les bons groupes au pouvoir, certains changements législatifs deviennent possibles. Prenons les droits des femmes par exemple. Dans de nombreux pays, en 1836, les femmes n’ont pour ainsi dire… aucun droit. Par contre, vous trouverez dans l’élite intellectuelle de votre pays – l’intelligentsia – des appuis à leur reconnaître des droits. Ils pourront compter sur l’appui des industrialistes qui, fidèles à leur portefeuille, y voient une source de main d’oeuvre bon marché. En formant un gouvernement avec ces deux groupes, vous aurez une chance de donner davantage de droits aux femmes, ce qui aura plusieurs effets sur votre nation, notamment en termes de main d’oeuvre supplémentaire.
Vous avez formé le parti… bolchévique ?
Mais ce n’est pas tout. Victoria 3 simule également les grands courants idéologiques qui ont secoué le 19e et le début du 20e siècle. Au fur et à mesure que le monde découvre de nouvelles technologies et de nouvelles philosophies, certaines idées commenceront à faire du chemin et la population aura des attentes en matière de réformes.
Le joueur aura alors le choix d’épouser le changement et d’agir de manière à contenter suffisamment sa population pour se maintenir au pouvoir ou bien de s’opposer et de se maintenir au pouvoir sur des piliers stables comme l’armée, la police et l’ancien pouvoir. Ce sont deux stratégies valides qui sont totalement entre les mains du joueur, avec des avantages et des inconvénients.
Ceci étant dit, les alliés d’hier peuvent devenir les ennemis de demain. Si plusieurs de vos réformes s’appuyaient sur l’intelligentsia et les syndicats, comment allez-vous réagir lorsqu’ils décident de former le parti bolchévique de votre nation et revendiquent alors l’abolition de votre monarchie constitutionnelle et l’instauration d’une économie planifiée ? Les suivre dans ces nouvelles réformes est une option, tout comme résister.
Votre destin
Voilà donc toute la beauté de Victoria 3, alors que vous devez naviguer entre les intérêts et les besoins des différentes factions de votre population tout en tentant de devenir la première puissance mondiale économique, diplomatique et militaire.
Si les premiers instants dans le jeu peuvent être rébarbatifs, comme dans plusieurs des titres de Paradox, malheureusement, il vaut la peine de persévérer. Avec les améliorations à l’interface utilisateur et la simplification des processus depuis le dernier opus, la série Victoria n’a jamais été aussi accessible sans pour autant être diluée.
Enfilez donc votre plus beau chapeau haut-de-forme, empoignez votre canne et allez industrialiser ce monde. Vous pourrez le faire au son d’une glorieuse trame sonore (dont Paradox a rendu disponible une version LoFi) et dans un univers virtuel coloré et agréable à prendre en main.
J’aime
- Le cadre de la révolution industrielle et de l’époque victorienne
- L’emphase sur l’économie
- La trame sonore époustouflante
- La multitude de choix de pays de départ
- La richesse des défis
J’aime moins
- La difficulté à apprivoiser le jeu
- La courbe d’apprentissage complexe
- Les révolutions dont je ne suis pas l’instigateur :(
Paradox Interactive a fourni à l’équipe de Geekbecois une copie de Victoria 3.
Victoria 3
Scénario
Graphisme
Bande sonore
Jouabilité
Durée de vie
Le progrès n'attend pour personne !
Victoria 3 présente une solide amélioration dans la jouabilité et l’apparence de la franchise sans pour autant la dénaturer. Unique en son genre comme simulateur économique et politique du 19e siècle, la proposition est difficile à apprivoiser, mais se démarque par sa profondeur et par la liberté donnée au joueur. Au son des marches et des waltz de l’époque, prenez le contrôle du marché de votre nation, gérez les attentes de votre population et mettez en place les réformes qui feront de votre pays la première puissance mondiale.