La communauté des joueurs et des créateurs pour le célèbre jeu de rôles de table Donjons et Dragons est en émoi depuis les deux dernières semaines. La raison est un document qui a fuité et qui contiendrait un récapitulatif des modifications que l’éditeur du jeu, Wizards of the Coast, souhaiterait apporter à la licence d’utilisation de la franchise. Le contenu de ce document et la lenteur que l’éditeur a prise pour répondre aux appels répétés de la communauté ont provoqué une intense colère de cette dernière, qui s’est exprimée haut et fort sur les réseaux sociaux, en plus de mettre un terme à leur abonnement à D&D Beyond par dizaines de milliers. La situation peut sembler confuse malgré que beaucoup de poussière soit retombée. Cet article se veut informatif et est basé sur les informations fournies en date du 19 janvier 2023.
Une mise en contexte est nécessaire afin de comprendre la situation. En 2000, lorsque Wizards of the Coast a lancé la troisième édition du jeu Donjons & Dragons, elle a établi une entente avec la communauté des joueurs et des créateurs afin de leur permettre d’utiliser les règles et atouts du jeu dans le but de créer leurs propres aventures. Cela offrait la possibilité aussi à des éditeurs tiers de créer leur matériel basé sur les règles du jeu, ce qui augmentait considérablement la diversité de produits dérivés, que ce soit des recueils d’aventures supplémentaires, des livres de règles, jusqu’à de tous nouveaux systèmes complets, le plus populaire étant Pathfinder. La Open Game License (OGL) s’est avérée très populaire et a créé une relation très positive entre Wizards of the Coast et la communauté des joueurs de D&D.
La quatrième édition de D&D – des changements à la licence rejetés par la majorité
La situation s’est envenimée en 2008 avec la sortie de la quatrième édition de D&D. Wizards a décidé de créer une nouvelle licence d’utilisation qui était beaucoup plus restrictive que celle établie pour l’édition précédente. L’élément majeur est que pour pouvoir créer du matériel pour la quatrième édition de D&D, un éditeur potentiel devait cesser de le faire pour toutes les versions précédentes et se concentrer uniquement sur la nouvelle. Cela fit en sorte que de nombreux partenaires et contributeurs pour la troisième édition ont décidé de tourner le dos à la quatrième édition et ont soit continué à utiliser la version précédente ou ont opté pour un nouveau système. De plus, les changements aux règles apportés avec la dernière version de D&D n’ont pas été bien accueillis par les joueurs, ce qui en a fait une des éditions avec la durée de vie la plus courte de l’histoire du vénérable jeu de rôle.
Reconnaissant leurs erreurs, les développeurs chez Wizards ont profité de la sortie de la cinquième édition en 2016 pour retourner à la OGL, avec quelques modifications mineures (lancée sous la version 1.0a). Il était à nouveau possible de créer du contenu sans restriction et même d’utiliser plusieurs propriétés intellectuelles de l’éditeur, comme l’environnement Forgotten Realms ou les plans d’existence du jeu Magic : The Gathering. La relation entre Wizards et ses partenaires s’est peu à peu améliorée, et le retour à la licence originale a fait en sorte que D&D a subi un regain de popularité très important et provoqué des chiffres de ventes records. De très nombreux projets ont vu le jour sur les plateformes de sociofinancement comme Kickstarter, comme de nouveaux volumes de règles et d’aventures et des collections de figurines. La pandémie aura aussi apporté un nouveau souffle à la franchise alors que d’innombrables parties ont eu lieu sur les plateformes en ligne comme Roll20 et fourni un divertissement à de nombreux joueurs qui souffraient de leur isolement.
Un document fuité qui a causé énormément d’inquiétude et de colère
Cela nous amène à aujourd’hui et les événements qui ont ébranlé la communauté. Les premières inquiétudes sont apparues lorsque Wizards of the Coast a annoncé le lancement prochain de l’initiative One D&D (lire notre article), une évolution importante du système de règles. Délaissant les manuels et les changements majeurs qui venaient avec chacune des nouvelles éditions, le système One D&D se basera sur le système établi par la cinquième édition et fera des changements et des ajustements évolutifs. Si la nouvelle plateforme a été accueillie favorablement au début, cela s’est rapidement transformée en inquiétude et en colère lorsqu’une ébauche du document expliquant des changements importants à la OGL ait fuité sur les réseaux sociaux. La version 1.1 de la licence contient de très nombreux changements, surtout au niveau des restrictions quant à l’utilisation des atouts et systèmes déjà établis, en plus de modifier considérablement les royautés qui devront être remises à Wizards pour la vente de produits basés sur la franchise. De plus, les nouvelles règles stipulent que tout produit basé sur le système D&D créé par la communauté devient propriété intellectuelle de l’éditeur qui pourra en faire l’usage qu’il veut sans rémunération pour le créateur. Pour les partenaires plus importants, comme Paizo, éditeur de Pathfinder, ils devront verser 25 % de leurs revenus bruts à Wizards s’ils souhaitent continuer à utiliser leur système.
Il s’est écoulé très peu de temps avant que la communauté ne réagisse de façon négative à ces changements et le silence radio de l’éditeur dans les premiers jours suivant la fuite n’aura pas aidé. Enfin, le 13 janvier dernier, Wizards s’est adressé aux joueurs via leur plateforme en ligne D&D Beyond en leur annonçant qu’ils faisaient marche arrière sur plusieurs éléments de la nouvelle licence, en particulier le nouveau système de royautés et promettant que les plateformes numériques comme VTT et les services de diffusion en ligne ne seront pas affectés. Ces nouvelles ont été reçues avec soulagement par les joueurs et les créateurs, sans toutefois alléger complètement leurs craintes. La nouvelle version de la licence n’a pas encore été finalisée et il n’est pas encore clair à quel point la version 1.0a de OGL sera modifiée. Il est certain que des changements sont à prévoir avec la sortie de One D&D, mais la réaction à la fuite nous permet d’être optimiste car la communauté est maintenant aux aguets et sera prête à remonter aux barricades si l’avarice prend à nouveau le dessus.
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