En préparant la critique d’Axis & Allies 1942 Online, j’ai eu l’occasion de me remémorer mon parcours en termes de jeux de société. Comme plusieurs de mes collègues blogueurs chez Geekbecois, il s’agit de l’un de mes passe-temps depuis plusieurs années. Lorsque j’ai commencé à m’intéresser à autre chose que les grands classiques – les Monopoly, Risk et tutti quanti – ce sont les wargames américains qui ont su capter mon attention. En fait, les jeux de gestion de ressources ou de travailleurs à l’européenne n’étaient pas encore bien connus en Amérique du Nord, si bien que j’arrivais à la conclusion qu’il était normal, une fois sortis des jeux plus grand public, qu’une partie dure au moins 6 heures et enferme les joueurs dans un genre de huis clos pendant plusieurs séances. Cette perspective allait changer quelques années plus tard, mais mes débuts dans l’univers des jeux de société plus nichés se sont faits au son des balades militaires des wargames.
À cette époque, j’ai donc découvert de véritables petites merveilles comme Twilight Imperium, Diplomacy, Mare Nostrum et, bien sûr, l’aîné de ces wargames, Axis & Allies. Mais il faut admettre qu’au courant des dernières années, depuis mars 2020 environ, il n’a pas été facile de se réunir pour faire une séance de jeux de société. Et de toute façon, avec des enfants en bas âge, c’est audacieux d’espérer pouvoir consacrer de nombreuses heures à un wargame. J’ai pu me familiariser avec TableTop Simulator, qui permet d’émuler à peu près tous les jeux de société imaginables, mais il requiert quand même que les participants soient présents en temps réel (bien qu’il soit possible de sauvegarder l’avancement d’une partie) et les jeux ne sont pas automatisés.
Apparu sur Steam en accès anticipé à l’été 2019, Axis & Allies 1942 Online m’était dès lors apparu intéressant. S’inspirant de la deuxième édition de la version de plateau d’Axis & Allies 1942, cet émulateur permet aux joueurs de prendre le contrôle d’une (ou plusieurs) grande puissance de la Seconde Guerre mondiale et de mener son camp, l’Axe (Allemagne et Japon) ou les Alliés (Union soviétique, Royaume-Uni et États-Unis), à la victoire. Les règles du jeu de plateau sont complètement intégrées et automatisées dans ce jeu vidéo et les tours se résolvent en différé, un peu comme une partie d’échecs par correspondance, où chaque joueur recevra une notification, par courriel par exemple, l’informant que c’est désormais à son tour, puis il aura plusieurs heures pour s’exécuter, 24 heures dans les parties compétitives.
Mais est-ce qu’un émulateur peut rendre justice à un jeu aussi vénérable qu’Axis & Allies ? C’est ce que nous verrons.
- Studio de développement : Beamdog
- Éditeur : Beamdog
- Plateformes disponibles : PC, MacOs, iOs et Android
- Plateforme de test : PC
- Date de sortie : 9 novembre 2021 (31 juillet 2019 en accès anticipé)
- Classement : Everyone 10+
- Prix : 22,79$
- Page Steam du jeu
De Pearl Harbor à Stalingrad, le déroulement du tour d’un joueur dans Axis & Allies
Dans Axis & Allies, tant dans la version de plateau que dans celle du jeu vidéo, les joueurs doivent déplacer des unités militaires – terrestres, aériennes et navales – afin de conquérir des territoires puis empocher la victoire en contrôlant un certain nombre de ces territoires contenant des villes clés comme Paris, Moscou, Hong Kong ou San Francisco. Chaque type d’unité différent, au nombre de 13 (infanteries, artilleries, blindés, chasseurs, bombardiers, transports, destroyers, croiseurs, cuirassés, sous-marins, porte-avions, canons antiaériens et usines) possède ses propres attributs en termes de mouvement, capacité offensive et capacité défensive, en plus de certaines règles spécifiques.
Lorsqu’un joueur déplace ses unités sur un territoire occupé par un adversaire, un combat entre les armées impliquées s’ensuit. Lançant un dé par unité impliquée, les joueurs devront essayer d’obtenir sur un dé à six faces un résultat équivalent ou inférieur à la valeur offensive ou défensive de l’unité afin d’infliger une perte à l’ennemi. Les combats se déroulent en manches où toutes les unités de l’attaquant et toutes les unités de défenseur pourront rouler un dé, puis les pertes de chaque côté sont retirées. Après chaque tour, l’attaquant peut choisir de poursuivre l’assaut ou battre en retraite. Une fois les combats et les mouvements résolus, le joueur produit des unités en fonction de la valeur économique des territoires qu’il détient puis passe la main au prochain joueur.
Il s’agit bien sûr d’une grossière simplification des règles de ce jeu, qui peuvent être un tantinet complexes puisqu’il y a plusieurs subtilités, notamment sur les pouvoirs spéciaux de certains types d’unités. Mais l’idée ici est de permettre à tous d’avoir une idée de comment se déroule le tour d’un joueur dans Axis & Allies, puisque la version vidéoludique reprend exactement les mêmes étapes et processus que la version de plateau. Et force est d’admettre que l’intégration du jeu de société en version virtuelle est tout à fait réussie.
À la sortie anticipée, nombreux ont été les joueurs à souligner les difficultés de manœuvrer les transports afin de cueillir et déposer des troupes, fonctionnalité qui a été grandement améliorée dans les mises à jour subséquentes. Parce qu’il faut garder en tête que, dans la version de plateau avec ses 400+ pièces, des actions complexes peuvent se faire en empoignant des figurines, alors que dans la version vidéoludique, tous les cas de figure doivent être anticipés et programmés, ce qui semble être le cas dans la version actuelle.
Printemps 1942 : le monde est en guerre
Si vous êtes familiers avec la franchise d’Axis & Allies, vous savez qu’il existe différentes versions de ce jeu dont la parution originale remonte à 1984. Certaines ont une carte plus étroite, des types d’unités alternatifs ou se concentrent sur des théâtres d’opérations spécifiques. À titre indicatif, la version classique du jeu comptait un peu moins de 300 pièces alors que ma version préférée, celle pour le 50e anniversaire d’Avalon Hill, en compte plus de 650. Le choix de l’édition est donc central, non seulement sur l’aspect du jeu ainsi que sur la variété d’unités disponibles, mais également sur des pans fondamentaux de l’expérience, par exemple les stratégies fonctionnelles ou même le nombre de joueurs.
Prendre la deuxième édition d’Axis & Allies 1942 comme référence est un choix sensé. Parue en 2012, cette version présente une carte assez détaillée pour offrir de bonnes considérations tactiques qui feront que chaque partie sera relativement différente de la précédente, même si certaines actions, particulièrement au premier tour, sont statistiquement démontrées comme étant les meilleures. Les types d’unités disponibles sont somme toute ceux attendus et généralement admis comme étant la norme, sans pour autant entrer dans les fioritures. Notons toutefois l’absence d’une option pour financer de la recherche dans de meilleures unités, une possibilité qui est pourtant présente dans d’autres éditions d’Axis & Allies, souvent en règle optionnelle.
Comme je le mentionnais, j’ai un parti pris pour la version 50e anniversaire du jeu, parue en 2008, qui offre une expérience similaire à la deuxième édition de 1942, avec une carte semblable et les mêmes unités, mais en ajoutant des objectifs par pays, de la recherche scientifique et, surtout, la possibilité de jouer l’Italie. J’ai encore de doux souvenirs d’une partie où les Italiens avaient réussi à prendre Washington à un joueur américain distrait ou encore de m’être fait conquérir Stalingrad par une manœuvre en deux temps des Allemands suivis des Italiens. Par ailleurs, plusieurs internautes ont questionné le développeur Beamdog en ce qui concerne la possibilité d’avoir plus d’options quant au cadre de la partie et le choix de la version, sans avoir obtenu de réponse définitive à ce sujet. Je joins donc ma voix à ces internautes pour avoir, pourquoi pas, dans le cadre d’un contenu téléchargeable additionnel, la version 50e anniversaire ou la version Première Guerre mondiale d’Axis & Allies.
Des armées en présentiel ou en virtuel ?
De mon point de vue, le verdict est clair : Axis & Allies 1942 Online permet sans l’ombre d’un doute de tenir une partie d’Axis & Allies en virtuel sans trop de tracas. Il y a bien quelques bogues par moment, mais le jeu en tient compte et recharge automatiquement la partie afin de contourner le pépin. Les fonctions permettant de trouver des joueurs pour les parties “compétitives” fonctionnent, bien que le classement laisse à désirer, surtout pour les joueurs plus occasionnels. Pour les parties privées, avec des amis, ça fonctionne très bien et il est possible pour tous de participer à la même partie, indépendamment d’être sur mobile, PC ou Mac.
Notons par ailleurs que la version mobile du jeu est gourmande en termes de mémoire vive ainsi qu’en batterie. Sur les écrans des plus petits téléphones, il sera souvent difficile de bien voir l’action, les textes ou les nombres affichés, ce qui peut entraîner des erreurs dans les déplacements et dans l’évaluation de la situation. Certaines manœuvres plus élaborées, comme les attaques amphibies, peuvent également s’avérer plus difficiles à exécuter avec les doigts qu’avec un clavier/souris. Il importe également de noter qu’il n’est pas possible de revenir en arrière dans Axis & Allies 1942 Online. Bien que le jeu inclut une mécanique visant à confirmer la satisfaction du joueur quant à ses actions, passé cette étape, s’il a fait une bourde, il ne peut la corriger en annulant ses dernières actions, il devra composer avec dans ses tours subséquents.
Ceci dit, est-ce que cet émulateur vient remplacer la version physique du jeu ? Absolument pas. Si le jeu est bien conçu techniquement, il faut admettre qu’il y a un facteur humain irremplaçable à réunir une bande d’amis autour d’une table pour plusieurs heures. L’entremise du virtuel fait disparaître la camaraderie et l’anticipation partagée entre plusieurs joueurs avant un tour particulièrement important ou un lancer de dé qui déterminera l’issu d’un combat, voire d’une partie. Axis & Allies repose énormément sur des jets de dés, si bien que la meilleure stratégie pourra se faire anéantir par des jets de dés malchanceux. Et soyons francs, même si nous savons que les statistiques sont inflexibles, tous les groupes de joueurs ont au moins un membre qui semble avoir toujours la poisse, obtenant toujours les mauvais résultats aux dés. Plus globalement, il y a une perte nette d’appréciation pour le jeu dans le fait de ne pas pouvoir prendre, manipuler et déplacer des figurines et des dés en trois dimensions sur une carte physique.
Par ailleurs, chacun chez soi à jouer à des moments différents de la journée (ou de la nuit, pour les oiseaux de nuit et parents d’entre nous) fait également que les temps forts de la partie ne seront pas partagés par tout le groupe. La plupart du temps, on se retrouve à lire le journal des activités des derniers tours pour comprendre ce qui s’est passé, ce qui s’accompagne de réflexions du type « ah, il semble que j’aie perdu Stalingrad » plutôt que d’émuler un duel épique entre deux joueurs, ce qui se serait produit en personne.
Ces éléments, que je résumais plus tôt en « facteur humain » accompagnant un jeu de société, ne sont pas accessoires. À mon avis, ils sont centraux au même titre que les règles et les stratégies.
À vos claviers, soldats !
En revanche, si nous faisons abstraction de l’absence du facteur humain ou lorsqu’il n’est pas possible de réunir sa communauté de joueurs, par exemple dans le cadre d’une pandémie mondiale, Axis & Allies 1942 Online est un substitut presque impeccable. Notons par ailleurs que les développeurs ont ajouté des modes de lancers de dés permettant de réduire les aléas de l’aléatoire, par exemple en limitant les résultats extrêmes de 1 et de 6, ce qui ne serait pas possible avec des dés physiques. Dans un mode de jeu où la chance est moins importante, l’importance d’une fine stratégie militaire s’en trouve décuplée.
Pour apprendre le jeu ou pour raffiner certaines stratégies sans risquer d’offenser vos adversaires (ou vos coéquipiers !), Axis & Allies 1942 Online sera là pour vous. Également, le jeu offre un mode solo qui permet d’attribuer des puissances mondiales à l’intelligence artificielle du jeu qui, bien qu’elle soit de taille pour un débutant, atteindra rapidement les limites de sa capacité de raisonnement tactique. Il n’est pas rare, contre un adversaire joué par l’ordinateur, de constater des comportements aberrants, par exemple un joueur virtuel américain qui ne construit aucun navire durant toute la partie.
La vraie profondeur du jeu vient donc en confrontant des joueurs humains de partout sur la planète. Il faut également s’armer de patience, comme le jeu est en différé, il est rare que les tours s’enchaînent. Une partie serrée d’une douzaine de tours peut donc prendre plusieurs jours à se compléter, et cela, même si les joueurs sont relativement assidus à faire leurs tours. Si vous avez un groupe d’amis disponibles en temps réel pour faire une partie (et que vous ne pouvez pas vous retrouver physiquement dans un même lieu), il demeure possible d’assister aux actions des autres joueurs, et vice versa, en temps réel dans le jeu, ce qui peut être plus interactif même si cela requiert une touche d’organisation supplémentaire.
Axis & Allies 1942 Online est donc un jeu à recommander, mais plutôt comme une béquille lorsque les options en personne ne sont pas possibles. Une fois le deuil d’une partie traditionnelle fait, il faut admettre que la proposition de Beamdog remplit très efficacement ses fonctions et permet des parties intenses et fortes en adrénaline, chacun chez soi. En bonus, personne ne peut vous voir si vous trépignez de joie (ou pestez contre les dés) suite à une offensive particulièrement prenante émotivement. Il n’y a donc pas que du négatif à pouvoir jouer à Axis & Allies dans le confort de son foyer, loin des regards.
J’aime
- Une conception simplifiée et claire
- L’interface utilisateur facile à maîtriser
- La facilité avec laquelle il est possible d’organiser une partie et de trouver des joueurs
- L’automatisation réussie des actions et des règles du jeu
- Pouvoir faire son tour au moment qui convient, dans le confort de son foyer
- La possibilité de choisir de jouer sur un ordinateur de bureau ou sur mobile
- La résistance héroïque des troupes soviétiques face à l’envahisseur allemand
J’aime moins
- L’absence du facteur humain
- Ne pas rouler les dés moi-même
- L’intelligence artificielle abrutie
- L’absence du mode « recherche scientifique »
- Les quelques bogues qui peuvent survenir
- Le manque de diversité quant aux versions d’Axis & Allies disponibles
La copie de Axis & Allies 1942 Online a été achetée par le rédacteur.
Axis & Allies 1942 Online
Scénario
Graphisme
Bande sonore
Jouabilité
Durée de vie
C'est moins long à ranger !
Axis & Allies 1942 Online réussit une parfaite intégration du jeu de plateau dans un format automatisé et facile d’accès. Il sera aisé pour le joueur d’apprendre les rouages du jeu, organiser des parties et trouver des adversaires. Or, même une adaptation réussie d’un jeu de plateau ne peut pallier la perte du facteur humain et de la camaraderie de retrouver son groupe de joueurs dans un même lieu. En l’absence de possibilité de rassemblement, par contre, la proposition de Beamdog permettra certainement de combler les envies d’Axis & Allies des joueurs, vétérans comme débutants.