Après avoir fait du lobbyisme pendant des années afin d’empêcher ses utilisateurs de faire réparer leurs appareils où bon leur semble, la compagnie de Tim Cook adopte maintenant une position d’ouverture (timide). Ce changement prendrait racine dans des échanges courriel de 2019 maintenant rendus publics qui montrent que Apple est divisée sur le droit à la réparation.
Le droit à la réparation
Aucune loi ne vous empêche de faire réparer votre iPhone X par votre belle-sœur qui s’y connaît. Or, il serait faux de dire que rien ne vous en empêche. Quiconque a tenté l’expérience sait qu’Apple a tout mis en place pour rendre cette opération quasi impossible. À moins, bien entendu, de faire affaire directement avec le géant ou avec un de ses détaillants autorisés. Le coût de la réparation est alors un incitatif fort à plutôt changer d’appareil.
À titre comparatif, le remplacement de la vitre du iPhone 11 par Apple vous libérera de 259$ avant taxes. Certains réparateurs non officiels affichent plutôt des prix de moins de 200$ pour la même opération. Or, Apple refuse de leur rendre disponible la documentation nécessaire et de leur vendre des pièces essentielles. En plus, visiter ces païens pourrait annuler votre garantie.
Le droit à la réparation réfère plutôt à l’interdiction de ces pratiques passives (refus de rendre publiques les informations nécessaires à la réparation des appareils) et actives (utilisation de vis propriétaires comme l’infâme pentalobe, colle empêchant le remplacement de la batterie, etc.).
Ces stratagèmes monopolistes ne se limitent pas au monde de l’électronique. Heureusement, certaines batailles sont déjà gagnées. Dans le monde de la mécanique automobile par exemple, la mécanicienne du coin a accès aux pièces et aux informations nécessaires pour entretenir et réparer votre véhicule. Le combat fait cependant toujours rage en agriculture, alors que le fabricant de machinerie John Deere semble s’entêter à nuire au droit à la réparation.
La position historique d’Apple
Apple est le John Deere de la techno, son opposition au droit à la réparation faisant presque partie des valeurs de l’entreprise. Sous des prétextes d’assurance qualité et de protection du consommateur, Apple fabrique des produits difficiles à réparer. Par exemple, elle refuse de vendre les pièces aux réparateurs indépendants. Ce modèle d’affaires semble lui avoir permis d’éviter la concurrence des prix pour la réparation et d’ainsi garder les coûts élevés pour diriger les clients vers l’achat de produits neufs. À cela s’ajoute une politique de garanties qui s’annulent dès qu’on va voir ailleurs.
Cette façon de faire était chère à Apple, comme le témoignent les actions de ses lobbyistes et de ses avocats contre chaque nouveau projet de loi visant à améliorer le droit à la réparation et, donc, à briser ce monopole de l’entretien. Lors d’une entrevue donnée au journal The Guardian en 2017, la sénatrice du Nebraska Lydia Brash raconte qu’un représentant est venu la rencontrer pour la convaincre d’abandonner son projet de loi Fair Repair. Le projet de loi a été reporté indéfiniment.
Apple nie son opposition active
En 2019 lors d’un interrogatoire officiel de la commission judiciaire de la Chambre des représentants (États-Unis), un vice-président d’Apple (Kyle Andeer) a offert des réponses qui niaient implicitement et explicitement l’opposition de la compagnie au droit à la réparation. En particulier, Andeer prétend que :
« Apple ne prend aucune action pour empêcher les consommateurs de chercher ou de faire affaire avec des réparateurs qui offrent un intervalle plus grand de réparations que ceux offerts par les techniciens autorisés d’Apple. » [traduction libre]
Une recherche rapide sur votre moteur de recherche préféré vous montrera par contre que l’internet n’est pas convaincu. Qu’en est-il réellement ? Un paquet de courriels confidentiels, rendus publics fin juillet 2020, offrent une réponse intéressante et nuancée.
Quelques courriels internes
Il y a un an, le gouvernement américain a lancé une enquête sur les possibles pratiques de concurrence déloyale des géants du web. Ce faisant il a exigé que lui soient remis des courriels internes jusqu’ici considérés confidentiels. Lorsque Apple les a remis, ils sont automatiquement devenus publics. Leur lecture permet de confirmer que la compagnie combat activement toute loi supportant le droit à la réparation aux États-Unis :
Cela soutient l’image d’une philosophie d’entreprise solide et d’une direction unie derrière cette position. Or, les messages montrent qu’il n’en est rien.Une compagnie divisée
Les communications obtenues montrent qu’Apple est divisée sur le droit à la réparation. On y voit la réaction en chaîne qu’a déclenché chez Apple un éditorial du comité de rédaction du New York Times intitulé C’est votre iPhone. Pourquoi ne pouvez-vous pas le réparer vous-même ? (It’s Your iPhone. Why Can’t You Fix It Yourself ?). Les réactions principales surviennent alors que l’éditorial est en écriture. Une ancienne directrice des communications d’Apple, Lori Lodes, souligne dans un courriel interne envoyé le 2 avril 2019 que la position de la multinationale n’est pas arrêtée et qu’elle semble évoluer :
Le même jour, Kristin Huguet (porte-parole), lui répond que la compagnie parle des deux côtés de la bouche et que personne n’est clair sur la direction prise par l’entreprise :En continuant de lire, on apprend que des actions incohérentes sont prises par certaines branches de l’entreprise. Alors que leur service légal combat les législations, des programmes sont mis sur pied pour faciliter les réparations par des tiers. Alors que les communications mettent l’emphase sur les dangers pour la vie privée et la sécurité physique de réparations non officielles, l’équipe d’environnement techno (Environmental Technology Team) rend publique toute la documentation officielle pour réparer deux modèles de iMac.
Finalement, Lori Lodes écrit à Steve Dowling (VP communications) une phrase qui exprime bien cette incohérence. Elle mentionne aussi son souhait de peut-être y mettre fin :
Et maintenant ?
Un peu plus d’une année est passée depuis l’écriture de ces courriels. L’apparente division chez Apple permet-elle d’espérer un réel changement ? Il semblerait que oui.
Dans son rapport environnemental publié en 2020, Apple laisse des indices d’une réelle transformation quant à sa position sur le droit à la réparation. On y lit qu’elle souhaite augmenter la longévité de ses produits en supportant un large réseau de réparateurs, en lançant le programme des fournisseurs de services de réparation indépendants qui donnera accès aux pièces et aux manuels de réparation et en modifiant le design intérieur de certains appareils pour faciliter leur réparation (batterie plus facile à retirer, par exemple). Rien de miraculeux, mais peut-être un pas dans la bonne direction.
Pour celles et ceux qui seraient intéressés à poser des gestes concrets pour soutenir le droit à la réparation au Québec, il suffit d’écrire au ministre de la Justice M. Jolin-Barette pour lui rappeler que le projet de loi 197 n’attend que lui.