[Opinion] Facturation d’internet à l’usage : fait-on fausse route ?

Tout d’abord, notez que ce billet en est un d’opinion. Il s’agit de ce que je pense, et sentez-vous libre d’en débattre dans les commentaires ! Mon billet est aussi un peu débridé, car j’explore plusieurs aspects de la question. C’est aussi le premier billet dans une nouvelle catégorie de billets d’opinions des blogeurs geeks de Geekbecois.com.

Avec toute cette histoire de facturation à l’usage d’internet suivant la décision récente du CRTC qui permettait à Bell de facturer à sa guise, on est en train de passer, selon moi, complètement à côté du problème essentiel qui nous a mené là en premier lieu.

La bande passante n’est pas la même

Tout d’abord, il est très important de comprendre une petite subtilité technique. Quand on dit que Bell veut facturer pour la bande passante des clients des petits fournisseurs, ce n’est pas la «consommation d’internet», qu’on facture ici, mais bien un genre de «droit de passage sur le réseau de Bell». La vraie bande passante pour internet, c’est le petit fournisseur qui la paie à son propre fournisseur de connexion, soit Bell, ou un autre.

Pour bien comprendre la différence, analysons un accès typique d’internet avec un fournisseur alternatif, où l’utilisateur téléverse (upload) un vidéo sur YouTube. De l’ordinateur, les données passent par le modem, puis par un bout de fil de Bell qui croise les poteaux du quartier, jusqu’à une boîte de répartition (ou directement à une centrale de Bell.) Pendant un court moment, les données entrent dans le réseau privé de Bell. Physiquement, ces données restent à la centrale ou voyagent à une autre. À un certain point, les données sortent du réseau de Bell et entrent dans le réseau privé du fournisseur internet indépendant. De là, ça voyage dans le réseau du fournisseur, jusqu’à sa sortie vers le «grand» fournisseur de connexion à Internet, celui qui fourni le fournisseur.

Dans cet exemple, le fournisseur indépendant aurait à payer 3 fois pour vous vendre son service :

  1. Payer un droit à Bell pour l’usage du bout de fil jusqu’à votre maison.
  2. Payer l’utilisation du réseau privé de Bell pour voyager les données entre la centrale (ou l’équipement) à proximité du client jusqu’au point de connexion du réseau du fournisseur Internet indépendant.
  3. Payer la bande passante et forfait de connexion au grand fournisseur Internet qui fourni le fournisseur (joliment dit non ?)

Présentement, le fournisseur indépendant paie que 2 fois, soit le 1er et 3e item de la liste. Le voyage dans le réseau privé de Bell est considéré inclus dans le prix du droit de connexion. Maintenant, Bell voudrait que les indépendants paient aussi pour l’étape #2. Autrement dit, Bell veut que ses clients (les fournisseurs) paient à l’usage de leur réseau de connexion interne ainsi qu’un frais fixe pour la location des fils.

Compétition impossible

Quand le CRTC a décidé, il y a plusieurs années, de permettre la compétition dans l’accès à Internet, il l’a permi de deux façons :

  1. Une forme de semi-revente, où le fournisseur utilise partiellement les infrastructures *ET* le réseau de Bell pour atteindre le client.
  2. La location du bout de fil et rien d’autre.

Jusqu’à présent, les fournisseurs indépendant ont pratiquement tous adoptés la méthode #1, puisqu’elle est non seulement peu coûteuse, mais sa tarification est directement en fonction du nombre de clients. Une foule de petits fournisseurs ont ainsi pu naître et, graduellement, croître leur part de marché.

En réalité, cet effet de compétition n’était que temporaire ; on n’a jamais vu la compétition plénière apparaître.  Pour offrir Internet à un client de façon totalement indépendante, il faut investir énormément d’argent pour installer physiquement, partout dans chaque ville et localité, des équipements de connectivité (appelés DSLAM, entre autre), afin d’être en mesure de brancher un client au réseau privé d’un fournisseur indépendant sans jamais toucher au réseau privé de Bell. La seule partie de Bell touchée est le petit bout de fil dans les poteaux, qui elle est déjà réglementée à une tarification fixe et raisonnable.

Couper l’herbe sous le pied

Il est donc quasi impossible pour une entreprise modeste de trouver le financement nécessaire pour installer ces équipements partout où elle veut offrir du service internet, et ensuite tenter de faire compétition aux très grosses entreprises Bell et Vidéotron qui se feront un plaisir de faire une guerre de prix féroce et des promotions alléchantes.

Voilà pourquoi aujourd’hui, seuls deux petits fournisseurs indépendants ont, à ma connaissance, étés en mesure de se payer quelques petits DSLAMs ça et là pour atteindre quelques clients. En gros, une petite partie du centre de l’île de Montréal est couverte par ces indépendants, et c’est à peu près tout. Lorsque interrogés par rapport à l’étendue future de leur réseau, les réponses sont timides et évasives, où finalement, on comprends que c’est vraiment pas prévu.

Compétition déloyale

Un point important qu’il faut aussi noter, est qu’à la base, quand Bell et Vidéotron appliquent des limites à leurs clients pour un forfait internet, ils font compétition déloyale aux autres fournisseurs de service pour la raison suivante. Si un client de Bell internet ajoute un service de télé par internet (le nouveau service IPTV de Bell, par exemple), pensez-vous que la bande passante utilisée pour regarder la télé compte dans le forfait internet mensuel ? Bien sûr que non ! La télé, c’est non compté bien sûr ! Que dire d’un client Vidéotron internet qui ajoute le service téléphonique IP de Vidéotron ? Est-ce que le téléphone va utiliser la bande passante du forfait internet ? Pas du tout ! C’est gratuit, la bande passante pour le téléphone.

Donc le problème se pose si on tente de choisir un autre fournisseur que Bell pour la télé IP (par exemple, Netflix, Apple TV, etc), ou un autre fournisseur de téléphone IP que Vidéotron (ex : Vonage, Freephoneline, Voip.ms et des centaines d’autres). Dès qu’un fournisseur alternatif est choisi, la consommation de CE service compte dans le forfait internet du client, et devra payer tout débordement. Mais si on choisi plutôt le fournisseur intégré (Bell avec Bell), c’est soudainement gratuit.

Ceci consiste, selon moi, en une compétition déloyale. Les fournisseurs de produits alternatifs de télévision et téléphone arrivent mal à faire compétition aux grands puisque leur service coûtera plus cher pour sa consommation d’internet que ce que le grand fournisseur fait.

Bonne idée, mal exécutée

Le CRTC tentait de corriger un problème fondamental en permettant à Bell de facturer à l’usage de son réseau, mais n’a pas corrigé l’autre partie du problème : l’impossibilité pour la compétition de s’établir, dû au coût exorbitant de l’installation des infrastructures au démarrage.

Notre gouvernement devrait se pencher sur ce problème, plutôt que celui de la facturation à l’usage que Bell veut faire pour ce qui lui appartient. Il devrait observer la structure des télécommunications au Canada, et trouver une façon de permettre aux indépendants d’entrer en compétition avec les grands. C’est ici qu’on a besoin de suggestions…

En un sens, c’est un peu la faute des fournisseurs indépendants s’ils sont acculés au pied du mur aujourd’hui. Ils avaient depuis le début l’opportunité de couper les liens avec Bell, en investissant progressivement dans des infrastructures, pour un jour faire un pied de nez à Bell et offrir le forfait qu’ils veulent, pour la quantité qu’ils veulent, au prix qu’ils veulent ! Mais, non ! Plutôt, ils se sont acharnés sur chaque petite bataille que Bell leur a livré pour l’utilisation de leur réseau, et se ramassent en 2011 avec un gros rien. Seuls Colba.net et Zid.com ont la capacité d’offrir un service (et un absolument fantastique, du ADSL2+ à très haut débit, illimité !) à un excellent prix, mais seulement pour des petites zones bien peuplées. J’ai posé la question à Colba.net, «Vous planifiez établir des services dans l’ouest de l’Île ?»  La réponse fut simplement, non. Il faut beaucoup de clients par kilomètre carré pour justifier une installation très coûteuse d’équipements qui ne peuvent servir qu’une portion géographique fixe.

Solutions ?

Quoi faire pour tout le reste de la province ? Celle où on ne pourra jamais justifier autant d’investissement pour que chaque fournisseur indépendant ait sa petite boîte dans votre rue ? D’après moi, une possibilité serait que tout les fournisseurs indépendants s’unissent pour installer un seul bloc d’équipement qu’ils se partagent tous, et se facturent entre eux les coûts. Une belle solution «co-op».

Le gouvernement pourrait aussi y aller d’un grand coup et fixer les prix pour Bell à un niveau acceptable pour tous. Après tout, la bande passante ne coûte presque  rien, donc pourquoi permettre à Bell de la revendre à un prix dérisoire ? Parlez-en aux compagnies pétrolières, tiens…

Mise à jour : 80 % pour les gourmands !

Une autre point nécessaire à discuter est relatif à ce que «les utilisateurs normaux» utilisent d’internet versus «les gros cochons» (oui on a bien utilisé le terme «Hogs» en anglais.) Bell et le CRTC ont indiqués dans la documentation fournie une donnée qui fut instantanément mal interprétée et ensuite copié-collée partout. On nous dit que 80 % de la capacité canadienne est utilisée par les «abuseurs», les GROS consommateurs. Comme l’a très bien présenté mon ami Nelson sur son blogue, cette donnée alarmante est complètement grossière. Je cite :

Les « porcs », c.-à-d. les grands utilisateurs d’internet, consomment 80 % de la bande passante actuellement utilisée, ce qui est loin d’être 80 % de la bande passante disponible. C’est une nuance importante à apporter dans le contexte, car à lire cette phrase alarmante on pourrait être porté à croire qu’il ne reste que 20 % de bande passante pour desservir le reste, la majorité !, des Canadiens. Mais ce n’est pas le cas.

Son billet offre une vision intéressant sur les analogies que se sont donnés à coeur joie les journalistes et commentateurs ces dernières semaines, alors qu’ils comparent les octets à des litres d’essence ou de l’électricité. Nelson fait la démonstration que la comparaison est absurde, et fausse la compréhension.

Mise à jour #2 : Consultation publique

Comme le mentionne Alexis Cornellier dans les commentaires, il est important d’indiquer que le CRTC a lancé une ronde de consultation publique afin d’obtenir les commentaires des citoyens et entreprises canadiennes vis-à-vis toute cette question. Les détails sont sur le site du CRTC.

À propos de Laurent

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4 commentaires

  1. Alexis Cornellier

    Tu devrais ajouter le lien pour la consultation publique que le CRTC a offert aux citoyens canadiens.

  2. À la lecture de votre billet, cher Laurent, je ne saurais ajouter quoi que ce soit pour égailler la table. Vous l’avez très bien mise! J’adore tout contre fait votre plume. Vulgarisez sans tomber dans le simpliste de la lâcheté intellectuelle.

    Simplement, splendide!!

    @ Alexis Cornellier:

    Amicalement,

    Orgas :)

  3. Christian Rocquebrune

    Une ou 2 choses me chicotent : les équipemens qui appartiennent à «Bell» le sont au fond grâce à quoi : un siècle de monopole et qui a payé pour ? Tous les Canadiens ou en tout cas ceux desservis par le réseau de Bell qui comprend au minimum le Québec et l’Ontario. C’est à mon avis le noeud du problème. Quand Bell a perdu le monopole, la propriété des équipements aurait dû, au moins en partie, lui échapper aussi, or il est resté de facto le propriétaire et le gestionnaire exclusif. C’est à mon avis ce qu’il faut décrié. Les indépendants ne peuvent tout de même pas rivaliser avec un réseau qui a été bâti en un siècle grâce à un monopole !
    Autre chose : la bande passante. Je crois (et ça reste à vérifier) qu’il y a une autre nuance à apporter et c’est la vitesse de connexion d’un indépendant vs Bell. L’indépendant a accès ce que j’appelle des «miettes de bande passantes» et si l’usager a le malheur d’être loin du répartiteur principal il aura à peine de quoi pouvoir naviguer sur Internet… Je le sais car j’en ai fait l’expérience. Heureusement j’ai pu m’abonner à un autre fournisseur qui offrait en sous traitance un forfait câble standard (aux mêmes conditions que Vidéotron avec l’avantage de ne pas être lié par contrat) Là encore Bell a toujours le gros bout du bâton vu qu’il peut offrir à SES clients accès à des répétiteurs de signaux lui assurant une connexion plus rapide que les concurrents indépendants.
    Bref tout revient à l’impossibilité des fournisseurs indépendants «locataires» de compétitionner avec les gros «propriétaires» des infrastuructures de télécom. À mon avis si on veut vraiment une saine compétition il faudrait récupérer notre droit de propriété en la remettant en partie il va sans dire à une entité indépendante.

  4. je sais que rendre gratuit n’est pas un solution (cout et entretien de l’équipement) mais je me souvien d’un temps ou ont recevais la télé avec les oreilles de lapin… mon point étant que a ce moment la télé était LA source d’information maintenant c’est internet et ont doit permetre a tout le monde d’avoir acces a l’information et ce a un juste cout la solution selon moi est d’instaurer une vrai competition. et si les infrastructures physique devenais de domaine publique la competition pourrais aller de l’avant avec des prix acceptable. je sais pas trop si sa fait du sens mais je me dit que comme l’accessibilité aux infrastructures semble etre le noeud du probleme je crois que c’est la qu’on devrais appliquer un changement.

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